Ces dernières années, le développement des neurosciences a mis en exergue un aspect que tous les artistes connaissent bien : l’acte de création s’apparente à une transe cognitive, un état modifié de conscience.
Que se passe-t-il ? Par exemple, le temps semble s’arrêter sur scène quand on joue un spectacle (disons qu’il passe tellement vite !), la sensation de douleur passe au 2ème plan (on peut entrer en scène en étant grippée, migraineuse et sortir en pleine forme !) tandis que nous ressentons plus amplement notre force intérieure.

Corine Sombrun, écrivaine-voyageuse, formée à la transe par des chamanes de Mongolie est à l’initiative de recherches scientifiques au sujet de la transe cognitive, principalement en Belgique au CHU de Liège avec Steven Loreys et au Canada avec Pierre Flor-Henry, professeur de psychiatrie clinique et directeur du centre de recherches de l’hôpital Alberta, à Edmonton. Le film « Un monde plus grand » sorti en octobre 2019 s’inspire de son expérience.
Que veut dire ce terme de transe « cognitive » ? En 2018, à son initiative et avec l’appui de chercheurs spécialisés dans les neurosciences, un premier protocole démontre que la transe est un potentiel du cerveau et non plus seulement un « don » réservé à quelques chamanes ou une pathologie mentale. Pour autant, ce potentiel cognitif est totalement inexploré et inexploité dans nos pays occidentaux. Certes, on sait déjà que le cerveau gauche est plutôt le siège de la pensée analytique dite « spéculative » qui a forgé notre égo et dont nous avons besoin pour nous construire tandis que dans l’hémisphère droit siège les capacités perceptives, les images, l’esprit de synthèse, l’environnement, l’intuition… Mais ces expériences très récentes permettent d’aller un peu plus loin dans la connaissance du fonctionnement de notre cerveau. Notamment, Corine Sombrun fait l’analogie avec la bande passante d’un système informatique et précise que si notre pensée consciente a la capacité de capter 16 bits d’information par seconde, notre corps peut en capter 10 millions et notre cerveau 10 milliards ! Et en état de transe, selon son expérience, la bande passante serait modifiée. En quelque sorte, la pensée consciente aurait une capacité supérieure « d’absorption » sachant que les informations sont déjà présentes et disponibles autour de nous. Notre cerveau qui est une interface entre notre monde intérieur et notre environnement jouerait ainsi le rôle de filtre pour nous garder du trop plein d’informations et de la folie.
Une autre étude réalisée cette fois-ci en 2007 dans un hôpital psychiatrique au Canada a comparé l’état de transe à des groupes de patients atteints de pathologies mentales. L’activité du cerveau en transe s’avère être similaire à celle des patients souffrant de schizophrénie, de manie et de dépression, les trois maladies ensemble ! La transe pourrait donc également avoir des applications en psychiatrie : tout comme on sort d’une transe, pourrait-on quitter un état psychique pathologique ? Déjà, poser cette question est une grande nouveauté par rapport à mes études de psychopathologie où j’ai appris que les structures psychologiques étaient définitivement définitives !
Corine Sombrun, elle-même artiste musicienne, a eu aussi l’intuition de proposer l’expérience de tests à des étudiants des Beaux-Arts de Nantes durant un cours sur la transe et la créativité. Seize d’entre eux ont eu accès à la transe dès la première écoute de boucles sonores particulièrement activantes et cette proportion a augmenté après plusieurs écoutes. Cette expérience de porosité des artistes à la transe cognitive confirme l’idée que l’acte de création s’apparente à un état modifié de conscience et que, cette pratique de la création artistique permet de s’écouter davantage, de développer notre potentiel de perception, de nous ressourcer et de nous révéler dans une identité augmentée (pas seulement du fait de la technologie et des algorithmes de l’intelligence artificielle !) avec des modes d’approches et de conscience du monde qui deviennent de facto plus singulières.
En art-thérapie, le chemin se construit un peu autrement, en respectant la capacité de chacun de lâcher-prise : pas à pas, en marchant, dans une expérimentation progressive du plaisir du lâcher-prise jusqu’au renouvellement de sa propre capacité de s’émerveiller, d’imaginer de nouvelles perspectives, d’éprouver de la joie et de supporter la souffrance inhérente au fait de vivre.